Efficacité des techniques de manipulation et de mobilisation pour le traitement des lombalgies chroniques
Titre original: Manipulation and mobilization for treating chronic low back pain: a systematic review and meta-analysis
Auteurs: Coulter ID, Crawford C, Hurwitz EL, Vernon H, Khorsan R, Suttorp Booth M, Herman PM.
Référence: Spine J. 2018 May;18(5):866-879. doi: 10.1016/j.spinee.2018.01.013. Epub 2018 Jan 31.
Introduction:
La prévalence des lombalgies chroniques aux États-Unis a été estimée à 23 % et serait une cause d’invalidité pour environ 11 à 12 % de la population [1]. Les thérapies non pharmacologiques pour le soulagement de la douleur chronique suscitent de plus en plus d’intérêt. Ainsi, les techniques de manipulation et la mobilisation vertébrales sont de plus utilisées. Malgré cette utilisation croissante, des incertitudes demeurent à l’égard de leur efficacité et de leur sécurité. Les preuves de l’efficacité de ces techniques peuvent varier en fonction de la durée des symptômes, du mode d’administration de l’intervention, de la durée du suivi, du comparateur utilisé et du type d’indicateur analysé. Malgré ce degré de variabilité entre les études, les techniques de manipulation et de mobilisation sont généralement considérées comme des traitements efficaces comparativement à d’autres thérapies [2, 3]. L’objectif de cette revue systématique était d’apporter un éclairage sur l’efficacité et la sécurité des techniques de mobilisation et de manipulation vertébrales.
Méthodologie :
Il s’agit d’une revue systématique avec méta-analyse. Les principales bases de données indexées ont été interrogées afin d’identifier les essais cliniques randomisés (ECR) portant sur les thérapies de manipulation ou de mobilisation vertébrales pour le traitement des lombalgies de janvier 2000 à mars 2017. Les listes des références des études incluses ont aussi été examinées, un groupe d’experts a participé au cadrage de l’étude (critères d’inclusion et définition);
Les critères d’inclusion des études étaient:
- Population : adulte souffrant de lombalgies chroniques et non spécifiques
- Intervention : manipulation (traitement avec impulsion « thrust » ou mobilisation (traitement sans impulsion « non thrust » vertébrale administrée par un thérapeute [2].
- Comparateurs : absence de traitement; traitement placebo ou autres thérapies actives (p.ex. : programmes d’exercices, physiothérapie).
- Indicateur : intensité de la douleur, degré d’invalidité et qualité de vie liée à la santé
L’évaluation de l’admissibilité a été effectuée de manière indépendante par six évaluateurs. L’extraction des résultats et à l’évaluation et la qualité ont été effectuées en duplicata par des études ont été effectuées par deux évaluateurs indépendants (n=6 évaluateurs au total). Tout désaccord a été résolu par la discussion et le consensus, ou par une consultation avec le groupe d’experts. Les risques de biais, la validité externe et la qualité des données probantes ont été évaluées à l’aide de grilles spécifiques [4-6].
Résultats :
La recherche documentaire a permis de recenser 7360 publications. Au total 51 études ont été incluses dans l’étude.
- 25 études ont été qualifiées d’études unimodales (c.-à-d. avec un seul mode de traitement : manipulation « thrust » ou mobilisation « non thrust »).
- 26 études ont été qualifiées de multimodales (c.-à-d. avec des programmes d’intervention incluant plus d’une modalité de traitements dont des techniques de manipulation « thrust » ou de mobilisation « non thrust».
Parmi les 25 études unimodales, 60 % d’entre elles portaient sur les thérapies de manipulation alors que 28 % portaient sur les interventions de mobilisation et 12 % sur une combinaison des deux. Parmi les études évaluant des programmes d’intervention, l’exercice prescrit était l’intervention la plus couramment utilisée en combinaison avec une la manipulation ou la mobilisation vertébrale. Les techniques d’étirements, les massages, l’utilisation d’ultrasons, ont également été prescrits.
La survenue d’effets indésirables a été rapportée dans 7 des 25 études unimodales. Cinq études ont signalé qu’aucun événement indésirable ne s’est produit au cours de la période à l’étude, tandis que deux études ont signalé des événements indésirables mineurs. La fréquence des effets indésirables dans les groupes témoins n’était pas significativement différente de celle des groupes avec intervention. Aucune information sur les effets indésirables n’a été rapportée pour les 17 autres études.
Résultats de la méta-analyse
Parmi les 51 ECR inclus dans la revue systématique, 9 (1 176 patients) ont été jugés suffisamment similaires pour être regroupés à des fins de méta-analyse.
1) réduction de la douleur
Les données montrent une réduction significative de la douleur pour les interventions de manipulation ou de mobilisation comparativement aux comparateurs (thérapies actives). Pour l’ensemble des études la différence moyenne normalisée (Standardized Mean Difference, SMD) était de -0,28 (IC à 95 % : -0,47 ; -0,09, p=0,004). Pour les études portant sur les thérapies de manipulation La SMD était -0,43 (IC à 95 % : -0,86 ; 0,00 p <0,001) alors qu’elle était de -0,20 (IC à 95 % -0,35 ; 0,04, p 0,01) pour les études évaluant les thérapies de mobilisation comparativement aux thérapies actives.
2) réduction de l’invalidité
Les données montrent une réduction significative de l’invalidité dans sept études comparant des thérapies de manipulation ou de mobilisation comparativement à des thérapies actives (n=923 patients) (SMD : -0,33 IC à 95 % :-0,63 : -0,03, p-0,03). Des analyses de sous-groupes ont démontré une réduction significative de l’incapacité pour les études comparant des interventions de manipulation aux thérapies actives (SMD : -0,86, IC à 95 % -1,27; -0,45, p < 0,001 alors que cette différence n’était pas significative pour les études avec des thérapies de mobilisation (SMD= -0,10, IC à 95 % -0,28 ; 0,07 ; p=0,25).
Les études comparant la manipulation ou la mobilisation à un placébo ou à l’absence de traitement étaient trop peu nombreuses ou trop hétérogènes pour être regroupées. Peu d’études ont évalué la qualité de vie liée à la santé.
Conclusion des auteurs:
Les données probantes de qualités moyennes, suggèrent que les interventions de manipulation vertébrales « thrust » auraient un effet bénéfique sur la réduction de la douleur comparativement aux thérapies actives tels que les exercices. Les interventions de manipulation sont également susceptibles de réduire l’incapacité des patients atteints de lombalgie chronique. Cet effet semble optimal après un suivi de 3 à 6 mois.
Les techniques de mobilisation « non thrust » produiraient un effet sur la réduction de la douleur comparativement aux thérapies actives mais l’amplitude de cet effet est moindre que pour les interventions de manipulation. Les deux thérapies semblent sécuritaires. Cependant, les données probantes concernant l’efficacité de la manipulation et de la mobilisation par rapport à un traitement placébo ou à l’absence de traitement font toujours défaut.
Forces l’étude:
Revue systématique de très bonne qualité selon les standards reconnus [7] :
- utilisation d’une méthodologie systématique, explicite et transparente, évaluant la validité interne des études (risque de biais), la validité externe, la qualité des données probantes;
- Participation d’un comité directeur interne pour contribuer à l’élaboration de la question et au cadre des critères d’inclusion et des définitions, ainsi que pour fournir des orientations tout au long du processus avec un comité consultatif externe;
- Méta-analyse basée sur les résultats rapportés par les patients;
Limites de l’étude
Présence d’hétérogénéité clinique entre les groupes d’étude pour la pathologie étudié (la douleur chronique est une affection multifactorielle pouvant être associée à divers troubles médicaux, condition est difficile à évaluer ) ainsi que pour les modalités d’intervention (peu d’informations sur les modalités d’administration, intervention variables en fonction des thérapeutes)
Références complémentaires:
- Balague, F., et al., Non-specific low back pain. Lancet, 2012. 379(9814): p. 482-91.
- Bronfort, G., et al., Efficacy of spinal manipulation and mobilization for low back pain and neck pain: a systematic review and best evidence synthesis. Spine J, 2004. 4(3): p. 335-56.
- Furlan, A.D., et al., A systematic review and meta-analysis of efficacy, cost-effectiveness, and safety of selected complementary and alternative medicine for neck and low-back pain. Evid Based Complement Alternat Med, 2012. 2012: p. 953139.
- Scottish Intercollegiate Guidelines Network. Sign 50: a guideline developers’s handbook. 2010. Available at http://www,sign.ac.uk/. .
- GRADE Working Group. Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation (GRADE). Available at http://www.gradeworkinggroup.org/. .
- Khorsan, R. and C. Crawford, How to assess the external validity and model validity of therapeutic trials: a conceptual approach to systematic review methodology. Evid Based Complement Alternat Med, 2014. 2014: p. 694804.
- Kung, J., et al., From Systematic Reviews to Clinical Recommendations for Evidence-Based Health Care: Validation of Revised Assessment of Multiple Systematic Reviews (R-AMSTAR) for Grading of Clinical Relevance. Open Dent J, 2010. 4: p. 84-91.